Dans les coulisses du Montréal Sword Meisters #1 – Les Règles du Tournoi

Si vous me connaissez, vous savez sans doute que je suis, avec mes deux compères Philippe et André, derrière le Montréal Sword Meisters, le gros évènement AMHE annuel de Montréal (et probablement le plus gros du Québec et de l’est du Canada en fait). Cette année, nous avons complété notre 2e édition avec un franc succès (plus de 80 participants, excellente ambiance, des gens qui en redemandent, des sponsors de folie… je vends bien ma tambouille, non ?), et nous nous préparons déjà une une édition 2020 dantesque. Le MSM, c’est son p’tit nom, s’articule autour de plusieurs tournois et d’ateliers qu’on cherche à garder aussi originaux que possible et entre-coupant les compétitions. Je reviendrais dans un article séparé sur l’organisation de l’événement, la formation des bénévoles, le choix des ateliers et le choix des catégories de compétition pour me concentrer aujourd’hui sur l’aspect probablement le plus délicat d’une compétition d’AMHE : les règlements. Étant derrière l’écriture de leur structure principale, j’ai en effet reçu de nombreuses questions et vu passer moult commentaires auxquels j’aimerais apporter quelques réponses et expliciter certains choix que nous avons fait en connaissance de cause. Il ne s’agit pas de démontrer que notre système de règles est meilleur que les autres, mais simplement d’expliquer pourquoi nous utilisons celles-ci plutôt que d’autres, en espérant éclairer nos participants passés et futurs.
Les dernières règles se trouvent ici (FR et EN).

Contexte

Le problème inhérent à tout règlement

Tout d’abord, je veux clarifier un aspect fondamental attenant à tous les règlements. Aucun règlement n’arrivera jamais à simuler de manière réaliste un duel à l’épée. Vraiment, il faut arrêter avec les arguments du genre « Oui, mais telle partie d’un règlement n’est pas réaliste ». On le sait. Et si on ne le sait pas, on se leurre. Le souligner n’apporte rien à la conversation contrairement à se demander pourquoi tel aspect « non-réaliste » a été inclus dans un règlement.
Pour se limiter à quelques exemples :
Une épée tranchante va se comporter de toutes façons différemment en liage d’une épée de pratique « sécuritaire ». Cela change l’approche et la viabilité de nombreuses techniques historiques, et je pense que personne ne reprochera le compromis qui est fait de ne pas utiliser d’armes réalistes, ie. aiguisées.
De même, le niveau incapacitant des blessures dépend de nombreux paramètres extérieurs à la qualité intrinsèque du coup porté tels que la détermination, la résistance à la douleur ou la constitution de l’adversaire. Par exemple, une même entaille à l’avant bras pourrait stopper net un adversaire peu convaincu, mais pourrait au contraire juste énerver encore plus un autre dopé à l’adrénaline. Il n’y a juste pas de moyen objectif de prendre en compte ces paramètres dans l’arbitrage d’une compétition, et ce même si ils sont d’une importance primordiale dans un combat réel.
On pourrait aussi noter que le fait de ne pas mettre sa vie réellement en danger, de se sentir soi-même ou son adversaire protégé par son équipement, change drastiquement l’approche d’un combat, pas toujours volontairement. Essayez de laisser participer à une compétition un individu en T-shirt, sans gambison ou veste protectrice digne de ce nom (ce qu’on a fait par pur laxisme pendant la première édition). Si les autres participants ne sont pas des psychopathes dénués de toute empathie, vous verrez qu’ils frapperont instinctivement bien moins fort sur votre sujet de test, ce qui pourrait paradoxalement lui donner un avantage.

Le tableau étant mis en place, j’affirme donc que tout système de règles est un parti pris (notez bien cette phrase, je vais y revenir souvent, #TSRPP) favorisant un type de comportement particulier, ou au contraire, pénalisant un autre. C’est un défaut inhérent à tout règlement, donc autant l’accepter, le prendre en compte en temps que tel et le gérer en connaissance de cause au lieu de faire mine que ça n’existe pas ou que c’est négligeable. La Fédération Française d’AHME a d’ailleurs un système demandant à chaque événement d’évaluer de manière standard à quel point une compétition dévie d’un réalisme historique parfait (voir page 3 et 4 de ce document). Ce n’est peut-être pas parfait, mais je vois ici la volonté de faire réfléchir les organisateurs aux raisons et conséquences de l’adoption de certaines règles. Et c’est exactement ce que je vais essayer de faire dans cet article. Accrochez vous à vos chapkas Liechtenaueriennes, ça va être long.

Ce qu’on avait vu… avant

En 2016 et 2017, un autre tournoi de plus petite envergure avait été organisé à Montréal avec la coopération distante de la Compagnie Médiévale. Pour la majorité de la Compagnie Médiévale, il s’agissait là d’une première expérience de tournoi d’AMHE, que ce soit en tant que participants ou en tant que bénévoles. Les règles tenaient en quelques phrases, reprises de la ligue Nordique, avec un nombre de points et d’échanges limités par combats (10 et 6 respectivement je crois). Les touches nettes (ie. non-doubles et sans after-blow) comptaient double. Le tronc et la tête valaient 2 points, les membres 1 point. En cas de double ou d’after-blow (défini comme une réplique venant dans la seconde suivant le coup porté par l’adversaire), le combattant ayant touché la zone valant le plus de points marquait la différence entre les deux. Par exemple, si un combattant arrivait à toucher la tête de son adversaire sans se faire toucher en retour, il marquait 2×2=4 points. Si en revanche il touchait son adversaire à la jambe (1 pt) et que celui-ci le touchait en retour à la tête (2 pt), c’est l’adversaire qui marque 2-1=1 point. Là, on arrivait à un problème qui heureusement n’a pas été exploité par aucun participant. Ce règlement donnait en effet un avantage assez certain aux after-blows. Il aurait en effet été tout à fait possible de jouer les règles en se plaçant (pour l’épée longue), dans une garde de Vom-Tag, protégeant ainsi la tête derrière les bras, attendre que l’adversaire touche ou se commette puis simplement descendre violemment la lame vers la tête de l’adversaire. Ce faisant, au pire, si l’adversaire touche une zone à deux points, il n’y a pas de points. On ne va pas se le cacher, c’est moche. Mais ça aurait pu marcher avec un entraînement approprié. Et soyons francs, si on se démène à organiser un tournoi d’AMHE, ce n’est pas pour voir cette qualité d’escrime. Donc l’année suivante, les règles ont été modifiées pour éviter ce cas de figure. Cette fois-ci, en cas d’after-blow, la touche initiale se voyait soustraire un point. Donc si un combattant touchait le bras de son adversaire et se faisait toucher en retour (n’importe où), aucun point n’était octroyé. Si il le touchait au tronc ou à la tête et se faisait toucher en retour, il gagnait un point. Là, il n’était plus possible de jouer l’after-blow pour gagner des points, mais ce qui en a résulté a été un festival de touches aux mains, celle-ci étant peu risquées (pas de points pour l’adversaire en cas d’after-blow, même à la tête) mais rapportant gros (2×1=2 points par touche évitant un after-blow).

Premières bases

Axes de développement des règles

Lorsque l’année suivante nous avons nous-mêmes relancé un tournoi depuis zéro pour ce qui allait devenir le MSM, il a paru clair qu’il nous fallait refondre entièrement les règles en prenant en compte ce que nous avions pu voir pendant ces deux années. Ce faisant, nous avons choisi d’orienter notre système de règles en devenir vers les axes suivants :

1/ Favoriser une pratique sécuritaire tout en gardant intacte l’intensité inhérente à une compétition
2/ Encourager une pratique courtoise, fair-play
3/ Encourager une escrime propre, usant de techniques historiques, et donc évitant les double touches
4/ Encourager les techniques allant chercher les cibles profondes (tronc, tête), plutôt que les mains.
5/ Avoir un unique système de règles pour toutes les armes afin de simplifier organisation et arbitrage.
6/ prendre en compte l’harmonisation de l’arbitrage et la formation des arbitres

En fait, les points 1 à 4 correspondent à ce que nous, à la Compagnie Médiévale, considérons comme de la « belle escrime ». C’est très subjectif et je ne remets pas une seule seconde en cause d’autres définitions. Simplement, en tant qu’instructeurs dans cette école, c’est vers ces valeurs que nous formons nos élèves, et le tournoi étant aussi une vitrine pour les AMHE Montréalais vis-à-vis de nos visiteurs, il me semble normal que nous mettions en avant les aspects qui sont chers à l’école. C’est honnêtement une chose qui, à mon avis, fait la richesse de la communauté des AMHE, et aussi sans doute ce qui la rapproche encore beaucoup des guildes d’escrimeurs passées. N’ayant pas d’instance centrale comme en escrime olympique, chacun peut choisir de faire ses règles comme il l’entend pour son propre événement afin de partager sa vision de l’Art. Et ceci dit, un excellent escrimeur doit pouvoir s’adapter à n’importe quel règlement.

Vous avez sans doute remarqué que l’historicité n’est pas mentionné dans ces axes en dehors de l’usage des techniques. En effet, en dehors du cas ou seulement une catégorie très précise est donnée, ce qu’il est difficile de se permettre si on veut un nombre de participants intéressants, il est difficile de trouver une base commune d’historicité. Prenons l’épée longue par exemple. Entre les Fioristes, les Meyerites, les Liechtenaueriens pur jus et même quelques originaux Thibaulteux, on couvre pour une même arme 300 ans d’histoire et toute l’Europe. Chercher une historicité du tournoi dans ce contexte ne fait juste pas de sens. Donc autant bâtir un règlement permettant aux différentes sensibilités historiques de s’exprimer (y compris contre d’autres), plutôt que de chercher une historicité de la compétition en tant que telle.

L’écriture des règles

Pour être honnête, on était quand même pas mal des rookies en décembre 2017. Philippe et moi venions juste de commencer à enseigner et nous n’avions jamais organisé de compétition d’AMHE. André cependant avait quelques contacts dans sa besace et un peu plus de bouteille, et comme point de départ, nous nous sommes basés sur les règlements l’open AMHE de Toulouse qu’il nous a dénichés. Oui, c’est l’Espagnol de l’équipe et pas le Français qui est allé déterrer un règlement français. Toulouse, si vous découvrez cette histoire en me lisant, André a dû vous le mentionner pourtant. Comme de mon côté, je ne connais pas trop mal les arcanes des règlements d’escrime moderne (j’arbitre à l’occasion des compétitions locales), j’ai pris sur moi de travailler sur le sujet et d’accoucher des nouvelles règles.

Nous en avons aujourd’hui deux versions. Celles de 2018 (FR et EN), obsolètes, et celles modifiées de 2019 (FR et EN).

Le pointage

Répartition des valeur de zones de touche

2 points pour le torse et 1 point pour les membres nous paraissait un peu simpliste. Et le facteur multiplicatif de 2 en cas de touche nette pouvait rapidement déséquilibrer un combat. Nous avons donc décidé de changer et partir sur 3 points pour la tête (incluant la gorge), 2 points pour le torse et 1 point pour les membres. Les touches à l’entre-jambe sont interdites afin de ne pas encourager les gens à viser à cet endroit pour des raisons évidentes de sécurité (Axe #1 – donc pas de technique de poignard aux testicules à la Wallerstein), et les touches aux pied ne sont pas comptées car rares et difficiles à différencier d’une touche au sol (Axe #6). Les estocs et les frappes ne sont pas différenciées, les entailles ne sont pas comptées sauf en cas de soumission (Axe #6 aussi).
Dans l’ensemble, cette répartition a été très bien accueillie sur les deux ans, sauf par certains pratiquants d’armes légères orientées très majoritairement à l’estoc. On peut en effet discuter le fait qu’un coup de taille au visage en rapière est passablement moins létal qu’un estoc. Cependant, #TSRPP, on a choisi de faire un compromis avec « réalisme » de cette situation pour faciliter l’arbitrage (Axe #5). D’autres tournois comme l’Iron Gate de Boston différencie les points d’estoc et de frappe. C’est une bonne idée, mais cela complexifie l’entrainement des arbitres (Axe #6). Peut-être dans les années qui viennent quand nous auront une équipe d’arbitres vétérans nous pourrons introduire la modification et aussi prendre en compte les entailles.
Les points quant à eux ne sont plus doublés en cas de touche nette. Cela rend plus intéressant les touches aux cibles profondes par rapport aux touches aux membres (Axe #4) et permet aussi d’avoir un combat plus équilibré tout du long, avec, on espère, l’introduction d’une bonne dose de stratégie et de gestion du combat plutôt qu’une débauche d’explosivité (Axe #1).

Le cas particulier des mains

La grande question a été de savoir si on comptait les mains ou non. En effet, l’année précédente avait tellement compté de touches « snipées » aux mains, qu’on ne voulait pas revoir cette situation. La solution la plus simple aurait été de rendre les mains non-valides. N’essayez pas des idées comme ça chez vous les enfants, le simple fait de soulever l’idée a tourné à la foire d’empoigne, souvent tournant autour d’arguments du type « oui, ben les gens n’ont qu’à savoir se protéger les mains. Dans un vrai combat, on prend toutes les opportunités ». Oui, certes, MAIS #TSRPP. C’est mon droit d’avoir le parti-pris que c’est de l’escrime moche et que je veux en voir le moins possible dans mon tournoi. Et qu’on n’aille pas me dire que ce n’est pas historique de ne pas compter les mains. Et puis si les escrimeurs qui ne savent pas se protéger les mains son vraiment juste mauvais, les bons n’ont qu’à exploiter leur faiblesses autrement, en y mettant un peu plus de bonne volonté. Donc pour moi, cet argument « réaliste » n’est pas valide dans le cadre des axes de développement que nous nous sommes fixés. Il peut être valide dans un autre cadre cependant, juste pas dans le nôtre.
Cependant, ne pas compter les mains pose d’autres problèmes bien plus réels qui sont apparus au fil de la discussion (comme quoi, les foires d’empoigne, on peut arriver à en tirer quelque chose). Déjà, vis à vis de l’Axe #6, différencier une frappe à la main d’une à l’avant bras n’est pas évident et donc pose de potentiels problèmes d’arbitrage. Ensuite, vis à vis des axes #5 et #3, enlever les mains des zones valides amputerait des disciplines comme l’épée bocle d’une grosse tranche de belles techniques du genre venir cherche la main derrière le bocle. Et c’est bien plus embêtant pour la qualité technique des combats que de laisser filer les coups aux mains distants à l’épée longue. Finalement, on s’est juste dit que, avec 1 point par touche aux mains dans des matchs de 10 points, quelqu’un se faisant frapper aux mains de manière répétée a tout le temps de comprendre de ranger ses mains. Inversement, si rendu à 9-9, le combat se fini sur une touche distante aux mains, et bien dommage, ce n’était pas le moment de faire une erreur aussi basique.
Bref, en redistribuant les points en zones 3-2-1 et en enlevant le doublage des points en cas de touche nette, on a obtenu un système de pointage assez équilibré, ouvert et versatile.

Les doubles (et les after-blows)

Et pourquoi pas une règle de priorité ?

Les touches doubles sont la bête noire des escrimeurs depuis littéralement des siècles. La question de départager des égalités ou des touches simultanées remonte à aussi loin qu’on peut retracer des compétitions d’escrime. Tout le monde les déteste, tout le monde sait pertinemment à quel point elles sont stupides, et pourtant, tout le monde en fait. JE n’arrive pas à retrouver la référence (merci de la poster en commentaire si vous la connaissez), mais il y a littéralement certaines sources médiévales se moquant de deux individus, voulant régler leurs comptes au Messer et mourant tous les deux.
Historiquement, le système de priorités utilisé aujourd’hui en fleuret et sabre olympique, et tant décrié sans aucune vraie raison (selon moi) dans le milieu des AMHE, provient justement du besoin de départager les touches doubles dans un combat sportif. Il faudrait que je retrouve une bonne source fiable (pareil, commentaire si vous avez), mais il semblerait que le principe apparaisse en France au XVIIIe siècle, affirmant qu’en cas de touche double, l’escrimeur en fente se voit octroyer la touche. Ce système part du principe qu’un escrimeur doit d’abord se défendre d’une attaque le visant et se garder en sécurité avant de riposter. Si il contre-attaque sans se préoccuper de l’attaque qui le vise, alors il est en faute vis-à-vis du principe élémentaire de se garder en vie. Alternativement, si il est suffisamment agile et malin pour prendre une attaque à contre temps et toucher sans se faire toucher, alors la contre attaque est valide aussi. L’Open AMHE de Paris utilise un système de priorités semblable. Cette option a été mise de côté rapidement en ce qui nous concerne pour deux raisons : la difficile formation des arbitres à un système de priorités (Axe #6) et la très mauvaise popularité d’un tel système dans la communauté.

Bon, OK, et pourquoi pas des after-blows comme tout le monde ?

L’autre solution classique est de laisser l’adversaire le temps de répliquer après une touche réussie. Cette solution est aussi documentée historiquement, et peut selon les cas aller de paire avec un avantage déterminé à l’avance pour l’un des combattants comme dans ces règles de guildes franco-belges. La logique ici est différente. Dans cette version, c’est l’attaquant qui a la charge de rester en sécurité tout le long de son attaque et de sa retraite. D’une certaine manière, c’est assez « réaliste », dans le sens où un seul coup arrête rarement un combat net, le combattant blessé pouvant rester très dangereux un bon moment, même avec une blessure mortelle. Et le pire, c’est qu’on a des manuscrits qui expliquent clairement comment tuer son adversaire après s’être fait transpercer. Cependant, si ce concept tombe sous le sens d’un combat réel où on va d’abord avoir l’instinct de se défendre et ne lancer un baroud d’honneur qu’en dernier recours, dans un contexte sportif, c’est moins évident. En effet, vu qu’il n’y a pas de risque réel à se faire toucher, il est assez simple de délaisser quelque peu la qualité de sa défense et de se conditionner à placer des after-blows dès qu’on se sent touché. Il n’y a pas de risque, et suivant le système de pointage (voir nos expériences de 2016), ça peut même être payant. D’une manière, avec la règle de l’after-blow, on force l’attaquant à se garder sécuritaire, mais on laisse une seconde chance au défenseur. Vis à vis de nos axes, cela pose un problème avec les trois premiers ainsi que le sixième :
1/ Un moyen efficace de délivrer un after blow est simplement de taper aveuglément dans son adversaire de toutes ses forces. Ce n’est vraiment pas sécuritaire, et on a pu voir quelques blessures associées à cet aspect précis. Alors oui, on pénalise un usage excessif de la force, mais mieux vaut prévenir que guérir.
2/ L’opportunité de pouvoir délivrer un after-blow n’encourage pas particulièrement au fair-play. Il n’empêche pas d’être fair-play, mais il n’y encourage pas non plus. Je veux dire par là que lors d’une compétition où on se conditionne à répliquer à une touche, on n’est pas tout à fait dans un état d’esprit courtois de salle d’arme à se dire « oh, diantre, le bougre m’a touché, je me dois de faire amende honorable de mon manque de dextérité et signaler mon erreur au prévôt ». Non, à la place, si on se sent touché, on va juste taper dans le tas en espérant que ça passe et que les juges le compte dans le temps imparti.
3/ Si les after-blow comptent d’une manière ou d’une autre, étant donné que par définition un after-blow est une réplique consciente et volontaire, les doubles/after-blows vont systématiquement être plus courants durant la compétition car les participants feront le choix de délivrer un after blow plutôt que de laisser une touche nette à l’adversaire. Inversement, si ils n’ont pas cette possibilité pour marquer des doubles après-coup, on a bon espoir que ça les poussera à des actions plus réfléchies.
6/ Le point qui personnellement me gêne le plus est l’harmonisation de l’arbitrage. Habituellement, on laisse environ une seconde, ou un mouvement, ou un certain nombre de pas pour répliquer. C’est un cauchemar pour l’arbitrage. La « seconde » par exemple ne sera jamais de durée constante. Le nombre de mouvements ou de pas est extrêmement difficile à évaluer en temps réel. Ceci demande des arbitres extrêmement entraînés et harmonisés entre eux pour pouvoir gérer une compétition de manière équitable.
Pour toutes ces raisons, nous avons aussi mis le concept d’after-blow de côté.

Pas d’after-blow, pas de priorités, mais comment qu’on fait donc ?

Déjà, il est important de noter que dans un système de règle incluant des after-blows, ceux ci sont assimilés à d’authentiques touches doubles. Il y a cependant une différence qui de mon point de vue est fondamentale entre les deux.
Un after-blow est de mon point de vue une réaction consciente et volontaire à une touche reçue. La seconde de répit habituellement utilisée dans les tournois avec after-blow permet justement ça. Une touche double cependant est juste le résultat de deux escrimeurs qui réagissent en même temps à l’appât créé par une ouverture de l’adversaire sans se préoccuper de leur propre sécurité. Une touche double est donc plus le résultat d’une erreur involontaire commune aux deux escrimeurs.
Le problème est que si on peut se débarrasser des after-blows (donc des répliques volontaires, donc réglementables), on ne peut pas se débarrasser des touches doubles, (généralement involontaires, donc ne pouvant être évitées). Tout au plus, on peut jouer sur certains paramètres pour forcer les escrimeurs à faire attention (Axe #3, mais j’y reviendrais dans un article séparé sur la structure du tournoi). Ceci implique donc une définition claire et objective de la différence entre double touche et after-blow. Et c’est à ce point que mon expérience passée en escrime olympique rentre en jeu avec le fantastique concept théorique du « temps d’escrime ». Celui-ci correspond grosso-modo au concept de « tempo » commun à la rapière italienne, mais comme la définition exacte de « tempo » varie suivant les auteurs et les périodes, on ne va pas s’étendre là dessus.
Selon les règlements de la FIE , un « temps d’escrime est la durée d’exécution d’une action simple ». Aussi, « l’action est simple lorsqu’elle est exécutée en un seul mouvement « . Bref, pour prendre un exemple d’épée longue, un coup d’en haut (Oberhau) est une action simple. Un armement (passage de garde du fou à garde du toit par exemple) est une action simple. Attaquer depuis la garde du fou avec un coup d’en haut est une action composée (armement + attaque). Une autre manière d’interpréter qui m’a été soufflée par Kevin Côté (escrime nouvelle France) et de voir une action simple sous l’angle de l’intention d’un mouvement donné. Dans l’exemple précédant, ce sera armer puis attaquer. Certaines techniques, comme un coup transversal (Zwerchhau) bien placé, sont exécutées dans un même mouvement d’attaque et de défense et peuvent aussi se traduire comme ayant les deux intentions dans le même temps. Différencier ces actions simples afin de construire ce qu’on appelle une phrase d’arme, c’est à dire une description complète du combat en actions simples successives, ne s’invente pas et demande un peu d’entraînement. Mais ce n’est pas inaccessible à quiconque avec un oeil un peu vif et une bonne connaissance de l’escrime. Avec cet outil en poche, il devient facile de différencier les doubles des after-blows. Une touche double arrive lorsque les deux escrimeurs touchent leur adversaire dans le même temps d’escrime. C’est à dire que les actions simples menant à la touche des deux escrimeurs sont simultanées, et ce même si les touches elles-mêmes sont décalées dans le temps. Un after-blow cependant arrive lorsque une touche est placée dans le temps d’escrime suivant une première touche. C’est à dire, lorsque l’action simple menant à la touche d’after-blow débute après que la première touche ait été placée (ie. fin du temps d’escrime précédent).

Schéma montrant différentes séquences d’actions simples menant à des touches doubles ou à des after-blows

Pour donner un exemple, si un escrimeur touche son adversaire pendant que celui-ci change de garde (ie. arme son coup) pour attaquer, alors l’attaque subséquente comptera en after-blow. En effet, la touche se passe pendant le temps d’escrime d’armement. Le temps d’escrime d’attaque subséquent est donc postérieur à celui de la touche initiale. En revanche, si une touche est placée sur un adversaire déjà armé et que celui-ci en réflexe contre-attaque en voyant l’attaque venir, dans ce cas, la touche est double même si la contre-attaque arrive après l’attaque initiale. Ceci est dû au fait que la contre-attaque est déclenchée pendant le temps d’escrime de l’attaque initiale (qui de toute façons était suicidaire, on attaque pas bêtement un adversaire avec un coup armé).
Ça semble un peu compliqué comme ça, mais en fait c’est assez simple en pratique. Si en tant qu’escrimeur vous avez le temps de vous dire « zut, je suis touché », pas besoin de continuer, vous êtes hors-temps d’escrime. Donc autant être fair-play et le signaler à l’arbitre (et vlan, Axe #2, sans rire, ça marche vraiment). En plus, c’est historique ! C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en escrime olympique, la lumière s’allumait autrefois du côté de l’escrimeur touché. C’est parce qu’il était de bonne pratique en salle d’armes que de signaler quand on se faisait toucher. La FIE a changé cette superbe règle pour au début des années 2000 il me semble, car pas assez télégénique. Et là, on est moins étonné de ce qui arrive 20 ans plus tard.
Côté arbitre, c’est vraiment une affaire de lire l’action. Un escrimeur ramène les mains pour se protéger avant de contre-attaquer de l’autre côté ? Deux actions simples. Il fait un moulinet bras tendu pour contourner la lame adverse ? Une action simple… et ainsi de suite.

C’est bien joli, mais ça ne s’inscrit pas dans la tradition de (…)

Alors oui, je sais, ce concept de temps d’escrime (qu’on a traduit « tempo » dans les règles anglaises), c’est complètement anachronique avec, mettons, l’épée longue allemande du XVe siècle. C’est vrai, je n’ai aucune objection. Quelques bémols cependant :
Je ne pense pas que cela change radicalement la manière de se battre en compétition. Cette histoire de temps d’escrime n’est, de mon point de vue, rien de plus qu’une grille de lecture commune pour décomposer et comprendre un combat d’escrime, quel qu’en soit la tradition. De cette commonalité ressort évidemment un certain niveau d’approximation. Ma simultanéité de temps d’escrime ne correspond pas exactement au « indes » de Liechtenauer, et mon temps d’escrime n’est pas exactement le tempo de Capo Ferro, mais on en a une approximation pratique pour le besoin présent #TSRPP. Cela permet d’avoir une base commune d’arbitrage pour toutes les armes, de toutes les traditions (axes #5 et #6). Car c’est bien de ça qu’on parle, se doter d’un cadre commun qui va permettre d’arbitrer (et donc d’analyser) un combat entre un Meyerite et un Fioriste avec une équipe de juges qui devront arbitrer un Diestro contre un Fabrisard 30 minutes plus tard. Dans ce contexte, avoir un système collant au concept précis de « Vor/Nach/Indes » fait peu de sens, et c’est donc pour cette raison que nous avons fait le choix du concept de temps d’escrime nous permettant d’éliminer les after-blows tout en gérant les touches doubles.

C’est bien joli, mais ça encourage les attaques suicidaires

C’est un des commentaires que nous avons reçu, étonnamment, assez peu de fois, ce qui me pousse à penser que l’ensemble du système s’équilibre bien. L’argument allant avec la remarque est qu’un tel système de règles trahi l’Art car les manuels nous enseignent comment vaincre son adversaire en le touchant/blessant sans se faire toucher soi-même et en se protégeant d’éventuels contre-coups. C’est vrai. Mais, d’une certaine manière, c’est se placer uniquement du point de vue de l’attaquant, et se protéger des contre-coups n’est rien de plus qu’un cas particulier du principe de se protéger tout court. En effet, les manuels donnent aussi de nombreuses instructions contre les escrimeurs trop agressifs pour leur bien-être, comptant uniquement sur leur force et leur vitesse, et qu’ils tournent systématiquement en dérision. En effet, les systèmes d’escrime historique certes enseignent à toucher l’adversaire en restant autant que possible en sécurité, mais avant tout enseignent à sortir vivant d’un combat… même contre des adversaires suicidaires. Faire usage d’un after-blow ou finir en double touche met ce principe en défaut. Dans notre système, un escrimeur peut lancer une attaque suicidaire en exploitant les règles de temps d’escrime et son adversaire n’aura pas le droit de le « punir » avec un after-blow. Mais concrètement, c’est que l’escrimeur ainsi touchée n’aura juste pas su se garder en sécurité. Il a donc failli à se garder en vie. Tuer l’attaquant importe quand même beaucoup moins quand on est soi-même mort.
Je vois ça un peu comme un problème de verre d’eau à moitié plein ou à moitié vide. Dans un système avec after-blow, l’idée est qu’au moins un combattant « meure » (ie. se fasse toucher, mais le 2e combattant peut se prendre un afterblow). Ce qu’on essaye de mettre en place avec notre système est au contraire d’encourage le point de vue qu’au moins un combattant survive (ie. pense d’abord à se garder en sécurité, quelque soit le comportement adverse, qu’on ne prenne pas en compte les after-blows et qu’on pénalise les doubles, ce qu’on verra dans un prochain article.). Dans l’idéal, on veut tous la même chose, c’est à dire un escrimeur touché, l’autre pas. Et honnêtement, cette distinction ne devrait pas faire de différence pour des escrimeurs se battant suivant des principes aussi historiques que possibles. De mon point de vue, comme de nombreux autres aspects de règles, c’est un choix de point d’équilibre fin entre pencher du point de vue de l’agresseur ou celui de l’agressé, et lequel des deux on cherche à encourager en priorité à adopter un « bon » comportement. Chez nous, le choix est « reste d’abord en vie, même si ton adversaire est un fou furieux » #TSRPP.

Conclusion

Ouuuuuh, je ne pensais pas avoir autant à raconter sur le sujet, et j’ai encore plein de choses à dire sur le comptage des points en vue des classements, les pénalités, les restrictions d’équipement, la construction des tableaux d’élimination, la gestion de nos fantastiques bénévoles… J’espère sincèrement que ce sera utile à quelqu’un. Pour ce qui est de l’article présent, je pourrais conclure sur les points suivants.
Je suis tout à fait conscient que nos règles ne sont pas représentatives d’un combat réaliste, et c’est parfaitement normal. Comme toutes règles, elles ont été orientées, mais nous avons fait en sorte que ces orientations soient clairement identifiées de manière à nous servir de fil conducteur : la sécurité, le fair-play, la technicité et l’uniformisation et la qualité de l’arbitrage. C’est pour ces raisons que nous avons redistribué les valeurs associées aux zones de touches, rejeté les after-blows et introduit le concept de temps d’escrime. J’admets volontiers que nous ne sommes pas parfaits (quelques très bonnes idées de nos participants seront ajoutées en 2020), mais des retours que nous avons eu, en particulier de l’édition 2019, il semblerait que ce système soit dans l’ensemble plutôt juste et équilibré au goût de nos participants. L’affiner sera une de nos tâches pour les années à venir.

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