Sigmund Ringeck’s Knightly Art of the Longsword – l’épée longue en mode Paladin du Chaos

2e fiche de lecture, spoiler alert, le son du bourdon va être différente de la première sur l’excellent Jude Lew, das Fechbuch. On va s’attaquer à une des rares publication d’un traité de Ringeck, ce qui m’a toujours paru étrange étant donné la popularité de l’individu dans la communauté des AMHEurs. Mais avant tout, il est nécessaire de noter deux aspects de la dite publication. L’ouvrage a été publié par la défunte Paladin Press, fermée en Janvier 2018. Il n’est donc plus imprimé, et comme le codex Wallerstein sur lequel je reviendrais, il atteint maintenant des prix exorbitants sur Amazon. Il a aussi été préfacé par un certain John Clements. Si un de ces deux noms vous est familier, il est probable que vous avez eu un sourire narquois en lisant ces lignes et que vous sentez au tréfonds de votre âme que l’inattendu s’étend devant vous. Pour ceux qui ne connaissent ni Paladin Press, ni John Clements, asseyez vous confortablement, on va tout vous expliquer. Pour vous résumer, ce livre est à l’image de son éditeur et l’auteur de sa préface : il y a à boire et à manger. Et on ne sait jamais si on a affaire à du 3 étoiles de guide michelin ou à du PFK (KFC pour les non-québécois).

L’objet. Apple for scale.

Overall presentation

TitreSigmund Ringeck’s Knightly Art of the Longsword
ISBN978-1-58160-688-1
AuteursDavid Lindholm, Peter Svärd
Année2003
TypeManuel d’escrime (Transcription, Traduction, Interprétation)
Langage Proto Haut Allemand Moderne, Anglais
Pages238
Document d’origine
¯\_(ツ)_/¯
Annéequelque part vers 1500-1520

Un peu de contexte sur la publication

Arrêtons net avec la tension mise en place dans l’introduction, et attardons nous sur l’éditeur. En toute honnêteté, je n’avais jamais entendu parler de Paladin Press avant leur fermeture. Tels des vautours, ayant eu vent de la liquidation de leur stock avant fermeture en décembre 2017, mon collègue Philippe et moi, alors instructeurs débutants, avons sauté sur l’occasion pour faire le plein de manuels à prix cassés. Et c’est en me baladant sur leur site, maintenant hors ligne, en passant à travers leur catalogue, que j’ai commencé à me demander à quel genre d’éditeur j’avais affaire.
Notez tout d’abord qu’une petite recherche nous renvoie sur un article bien triste de Soldier of Fortune Magazine, déplorant la fermeture de l’éditeur et retraçant ses 47 ans d’activité. SoF magazine n’est pas un magazine pour fan de cette vieille série de jeu vidéo ayant follement amusé l’adolescent en mal de sensations fortes virtuelles que j’étais. Nooooooon, c’est un vrai magazine pour vrais mercenaires modernes, militaires en exercices et autres passionnés des champs de bataille, co-créé par un des fondateurs de Paladin Press. Alors, je ne juge certainement pas de la santé mentale et de l’éthique d’une telle publication. C’est un champs de connaissance comme un autre, et en tant qu’escrimeur et passionné d’histoire (en particulier militaire), je me tirerais une balle dans le pied en critiquant le principe de documenter les pratiques guerrières. Ceci dit, ça plante un certain décor. J’ai pu retrouver un catalogue partiel des publications de Paladin Press. On y trouve, en vrac, des manuels de combat modernes, des bouquins survivalistes, des documentaires sur des services secrets, des manuels pour activités pas tellement légales (crochetage de serrure, tueur à gage… oui vous avez bien lu, même si ils se sont défendu ensuite que c’était un travail de fiction), armes, forge, et finalement quelques manuels de combat historique. Bref, même si seulement les livres d’art martiaux historiques nous intéressent ici (et mine de rien, il y en avait quelques uns forts intéressants sur des sujet non publiés ailleurs comme celui-ci et celui-là), je pense qu’on peut dire que la ligne éditoriale sent un peu le roussi, et que, dans le cas présent l’éditeur ne paraît pas être un gage d’excellence académique. C’est une bonne leçon d’ailleurs. Quand vous achetez un livre dans un domaine de niche, allez toujours voir les autres livres de l’éditeur. Ça peut donner une idée, non-suffisante certes, de ce dans quoi vous vous embarquez.
Au tour de la préface. Comme mentionné plus haut, celle-ci a été écrite par John Clements. C’est un vieux de la vieille des AMHEs, directeur de l’Association for Renaissance Martial Arts (ARMA) une des premières organisations modernes d’AMHE. En ceci, il faut quand même admettre que ce monsieur a fait beaucoup pour relancer l’intérêt de la pratique, d’autant plus qu’il a participé à bon nombre de programmes télévisés grand public permettant de la faire connaitre en dehors des cercles d’initiés. Le problème, c’est qu’il a les idées bien arrêtées, une approche idéologique tout du moins discutable et même si il est louable de vouloir toucher le grand public, History Channel n’est pas un gage de rigueur scientifique. Il en résulte, entre autres exemples, un bon nombre de blagues potaches et analyses plus sérieuses sur certaines interprétations datant un peu (d’ailleurs mentionnée en diagonale dans le présent livre), de vraies blessures de Mordschlag prises en vidéo dans un documentaire grand public (notez déjà l’air qu’on imagine déconfit du cobaye en armure dès la dixième seconde de l’extrait), et une participation à un programme télévisé à grand spectacle mais au contenu pas trop rigoureux historiquement. Bon ceci dit, comme chez Paladin Press tout n’est pas à jeter non plus. Le site de l’ARMA regorge d’articles fouillés dont certains sont loin d’être sans intérêt.
Et en fait, le livre dont il est question dans cet article suit justement la même logique. Il y a du très bon, et il y a du franchement bof.

Le Manuscrit d’Origine

Contenu du manuscrit

Après ce long paragraphe d’introduction sur Paladin Press et John Clements que je n’aurais pas à refaire dans des articles ultérieurs impliquant le même binôme, il est grand temps de parler du livre sur lequel porte cette fiche de lecture. Pour cela, commençons par parler du manuscrit original. Attendez, je cherche…

Je cherche toujours…

Ah…

Ben…

Ce n’est pas précisé.

Sans blagues.

Je n’ai pas trouvé la référence du manuscrit d’origine dans tout le bouquin, alors qu’il y a une transcription (soi-disant) complète ! Alors moi, je veux bien, mais déjà que l’éditeur et la préface m’ont fait hausser les sourcils, si maintenant il faut que je leur fasse une confiance aveugle sur l’origine de ce qu’ils m’écrivent, on est mal parti. Tout ça participe à une impression générale de manque de rigueur qui ne fait que se renforcer.
Bon, en cherchant un peu depuis la page Wiktenauer de Ringeck (un site sérieux, lui), et en comparant les premiers paragraphes, il me semble qu’il s’agisse du MS Dresd.C.487 de 1504-1519. On a donc ici un manuscrit assez tardif pour de l’escrime Liechtenauerienne, écrit entre 50 et 100 ans plus tard que les plus anciens nous étant parvenus, et historiographiquement au début de la Renaissance. Niveau temporel on est plus proche de Meyer que des premiers Talhoffer. Cependant, le contenu est bien plus dans la lignée « médiévale » de l’escrime allemande que « Renaissance ». Les estocs ne sont, par exemple, pas proscrits, et le contenu se présente sous la forme d’une glose non-illustrée du Récital de tonton Johannes comme chez Lew ou dans le MS.3227.a. Le manuscrit d’origine contient 126 feuillets couvrant différents aspects et armes du combat médiéval, comme dans le Codex Lew. 46 d’entre eux concernent l’épée longue, et seulement ces feuillets sont transcrits, traduits et interprétés dans le livre.
La Glose de Ringeck est plutôt claire et détaillée, ce qui participe à faire de lui un des auteurs les plus populaires pour les amateurs d’épée longue allemande du XVe siècle. Dans l’ensemble le contenu suit le Récital sans trop dévier, il n’y a donc rien de particulier à relever sur ce sujet. Point amusant cependant, il s’agit du seul manuscrit que je connaisse à l’heure actuelle qui précise explicitement qu’une technique particulière est dangereuse et qu’il vaut mieux être sûr de ne pas se louper. Voir par exemple le feuillet 43r où cette mention est en plus doublement encadrée en rouge et noir.
En 2003 (date de l’écriture du livre), avoir déjà toute cette partie de glose « standard » d’épée longue était déjà pas mal. Cependant, le manuscrit contient d’autres feuillets 49 à 54 ajoutant des techniques originales et propres à Ringeck sur le Rayage (Streichen). Celles-ci, fournies en Appendix B de l’excellent document composite de Wiktenauer qui lui aussi utilise le même manuscrit de Ringeck comme une de ses sources, sont malheureusement absentes de l’édition de Paladin Press.

Auteur et contexte historique

Cela fait maintenant plusieurs mentions du nom de Ringeck que vous avez vu passer, et une courte présentation s’impose. Sigmund Ringeck, aussi appelé Sigmund ain Ringeck, Sigmund Amring, Sigmund Einring ou Sigmund Schining (ou encore une combinaison des précédents) est un maître d’arme du monde Germanique qu’on peut estimer avoir vécu dans la seconde moitié du XVe siècle en Bavière. Contrairement à Lew, il est recensé par Paulus Kal comme faisant partie de la confrérie de Liechtenauer. Le nom « Ringeck » apparaît en fait seulement dans le manuscrit MS Dresd.C.487, le plus connu, et servant de base au livre présent. Son vrai nom serait sans doute plus Schinig, ou Ainring (nom mentionné pas Kal), mais l’état civil de l’époque étant ce qu’il est, cela restera sans doute obscur longtemps. On sait cependant par plusieurs manuscrits qu’il a été maître d’arme d’un duc de Bavière nommé Albrecht. Manque de chance, dans l’époque qui nous intéresse, cela fait trois candidats potentiels. Albrecht III paraît être le plus probable en raison de la date de production des manuscrits le mentionnant (je vous renvoie ici pour les détails), mais Albrecht IV (son fils, qui le remplace en 1460) serait aussi un bon candidat. Ceci dit, si on suppose que Ringeck a été un étudiant direct de Liechtenauer et que ce dernier a vécu à la fin du XIVe siècle, alors le bon client serait Albrecht I. Mais, rasoir d’Ockham aidant, je trouve personnellement que ça fait un peu trop d’hypothèses.

Edition, Traduction et Interprétations

Auteurs

Les auteurs sont David Lindhom à l’écriture et Peter Svärd à l’illustration, tous deux suédois. Je n’ai pas pu trouver grand chose sur ces deux compères sinon que le premier manie des épées depuis 1986, qu’il est (était ?) membre de l’ARMA et directeur de la section de Malmö en Suède. Si on se fie au site de l’ARMA, cette section n’existe cependant plus aujourd’hui. Les deux auteurs ont aussi écrit un second livre, toujours associé à Ringeck, mais centré sur le combat en armure et la lutte. Il est dans ma bibliothèque, j’y reviendrais.
Le livre contient aussi quelques contributions de Peter Johnsson, un forgeron suédois qui a participé à l’écriture d’appendixes, et Lena Strid, une archéologue spécialisée dans les blessures de champs de bataille qui a aidé à la traduction.

La forme

Le livre est relié collé, à couverture souple, et se présente sous un format lettre (le A4 des contrées barbares) en orientation paysage. Il en résulte un livre assez grand, nécessitant pas mal d’espace en largeur quand il est ouvert. Ce format inhabituel est peu pratique à transporter, mais cependant bien adapté à la disposition choisie pour le contenu. Les pages correspondantes aux transcription de manuscrit sont arrangées de la façon suivante :
En haut à droite de la page, le texte transcrit en haut-allemand. En vis à vis, à gauche de la même page, le texte traduit en anglais. La mise en forme des deux textes ne correspond pas toujours, mais dans l’ensemble, les passages isolés de cette manière sont assez courts pour qu’on s’y retrouve. En revanche, le texte transcrit ne donne pas les numéros de feuillets correspondant dans le manuscrit original. Si vous voulez contre-vérifier un point, il faut se débrouiller à retrouver l’extrait en lui-même. Ensuite vient l’interprétation, sous le texte principal, en petits caractères italiques pour bien la différencier. Cette interprétation est accompagnée de dessins très clairs de deux escrimeurs exécutant la technique étape par étape, généralement vu de côté, affublés d’une superbe coupe au bol sooooo 1460. Sous chaque escrimeur est dessinée la position des pieds par rapport à la ligne imaginaire reliant nos deux top-modèles médiévaux. Notez qu’il n’y a pas de notes de traduction, donc, là encore, il faut faire confiance aux auteurs. Le livre est divisé en sections, une par technique ou famille de technique dont le nom apparaît dans le coin de chaque page de droite. Il est donc assez facile de s’y retrouver. Bref, ce livre a été conçu, et plutôt bien il faut admettre, pour être lu facilement et aider à la mise en pratique. Il est certes grand, mais ces larges pages en orientation paysage tiennent ouvertes par elle-même, permettant de suivre les illustrations épée en main.

Le contenu – Le Manuscrit

C’est là que le « chaos » rentre en ligne de compte. Le but premier des auteurs est de donner une interprétation accessible dans un format qui l’est tout autant. Partant de là, le manuscrit d’origine devient un matériau de base à travailler à loisir avec lequel bon nombre de libertés sont prises. Et sur ce point, les auteurs annoncent la couleur dès les premières pages en affichant un portrait de « Ringeck ». Tout le monde s’attendrait à la seule image connue supposée le représenter, mais non ! Un portrait bien plus propre est donné avec la mention (je traduis) « Aucun portrait connu de Maître Ringeck n’existe [NDLR: on est en 2003, le portrait en lien ci-dessus n’était peut-être pas accessible puisqu’il est dans un autre manuscrit], donc nous avons fait notre propre image de ce à quoi il aurait pu ressembler ». Alors, bon, c’est honnête au moins, mais assez révélateur selon moi de la manière dont le livre est écrit. En lisant ça, j’ai concrètement l’impression qu’on me dit : « lecteur, comme tu es un gros noob vivant dans une société d’image (et pourtant 2003, c’était avant Facebook), on va te bidouiller une image quelconque personnifiant un auteur d’il y a 500 ans pour que tu puisses former une connexion personnelle avec lui ». J’extrapole un peu, certes, mais dans l’idée, si ce n’est pas ça, il faudra m’expliquer pourquoi mettre une image qui n’a rien à voir. J’ai retrouvé l‘original de cette image par hasard alors que je fouinais sur le site du MET à la recherche de jolies épées. Le visage a été un peu changé (les yeux en particulier), ainsi que les mains qui tiennent un manche de dague à rouelle au lieu d’une bague et d’un marteau. Sinon, la forme du visage, les habits, les bijoux et la coiffure sont identiques. Notre image de Ringeck est donc une modification d’un portrait de François d’Este, fils illégitime d’un noble italien. Au moins, la période est bonne puisque le portrait date de 1460. Mais peut-être que les auteurs sont dépositaires d’un savoir caché et nous indiquent que Ringeck est le pseudonyme de François d’Este, allez savoir.
Ces arrangements avec le manuscrits sont constants. Par exemple, le livre saute directement du feuillet 18 au feuillet 58 pour ensuite revenir au feuillet 19. La raison ? Le feuillet 18 marque la fin de l’introduction du manuscrit avec la liste des pièces de Liechtenauer. Le feuillet 58 commence à décrire les gardes. Les feuillets 19 à 57 parlent des coups de maîtres. D’un point de vue pédagogique moderne, il fait en effet du sens de présenter les gardes avant de présenter comment frapper. Ce n’est en revanche pas l’esprit du manuscrit d’origine qui commence par des coups simples (Coup de colère aka. coup de paysan) et introduit les concepts au fur et à mesure en suivant la liste donnée feuillet 18. Les gardes arrivent juste avant le concept de « versetzen » justement censé les contrer avec quatre des cinq coups de maîtres décrits plus tôt. Là encore, pour un lecteur moderne qui n’a jamais touché une épée, la manière dont le livre est arrangé est sans doute plus pratique que l’original. Mais bon, c’est triste. Et chers lecteurs, je pense que vous n’avez pas besoin d’être pris par la main. D’autres petits arrangements apparaissent ici et là. Des numéros de sous-paragraphes apparaissent sans raison particulière dans la transcription du feuillet 18 par exemple. J’ai fait un peu de paléographie dans mes études, je n’étais pas très bon, mais il me semble me rappeler que ça ne se fait pas. Bref.

Le Contenu – Les à côté

Les pages de transcription/traduction/interprétation du manuscrit ne représentent environ que la moitié du livre. Chaque section est introduite par un texte des auteurs décrivant la technique dont il va être question dans les grandes lignes. Ces passages sont franchement intéressants et permettent de bien comprendre le fond et le contexte de la technique qui va suivre. Un problème cependant, des fois, le seul moyen de différencier ces passages d’une traduction du manuscrit original est de voir qu’il n’y a pas de texte allemand en vis-à-vis. La police est la même que pour les traductions, ce qui porte à confusion. Ceci dit, c’est bien, et plutôt clair niveau contenu.
À côté de ça, le livre compte aussi plusieurs sections annexes. La longue introduction de notre ami John Clements, quelques paragraphes sur la traduction, sur Liechtenauer et les épées, et, tout à la fin, quelques paragraphes succins sur l’entrainement physique, l’interprétation, les tranchants d’épée et comment les aiguiser, la coupe test, les armures et un glossaire. C’est large, mais ne rentrant pas trop dans le détail à chaque fois (sauf le passage sur les tranchants, écrit par le forgeron mentionné plus haut). En tant que tel, la majeure partie de ce contenu est plus pour donner au lecteur un peu de culture générale dans un sujet ou susciter son intérêt à aller plus loin que de lui donner des informations pratiques et exhaustives. Il y a aussi une petite bibliographie et quelques ressources en ligne à la toute fin du livre.

Un mot sur l’interprétation

Aaaaaaah, l’interprétation. Activité formant le cœur de notre passe-temps favori, mais à peu près aussi dangereux que de se promener avec un hot-dog dans un festival vegan et le poster publiquement sur les réseaux sociaux. C’est cependant cette partie qui fait l’intérêt de ce livre puisque d’autres traductions d’aussi bonne qualité sont faciles à trouver et que finalement, les à-côté sont, comme les études du commissaire Bialès, bien, mais pas top.
Et là, j’arrête tout quelques minutes. Le livre a été publié en 2003. Je l’ai déjà mentionné, mais là, c’est vraiment important. Je ne sais pas si vous vous rappelez de ce qu’étaient les AMHE en 2003, mais je peux vous dire que moi, je ne savais même pas que ça existait, l’usage d’armes anciennes dans ma pratique se limitant à l’escrime de spectacle. Quand j’ai commencé au début des années 2010, les gens se battaient encore avec de l’équipement modifié de hockey. Regardez où on en est maintenant ! Beaucoup, BEAUCOUP, d’eau a coulé sous les ponts en 17 ans. De nouveaux manuscrits ont été déterrés de bibliothèques universitaires où ils étaient oubliés, le milieu académique a produit de nombreux travaux sur le sujet (allez donc ici), d’innombrables amateurs, alimentés par un esprit de ruche porté par internet, ont essayé, interprété, mis en pratique, pris part à des ateliers, échangé… 2003, c’était encore l’époque des pionniers. Bravo mesdames et messieurs actifs dans les AMHE à cette époque, nous vous devons beaucoup. Est ce que vos interprétations de l’époque sont toujours pertinentes ? Peut-être. Ou pas. À voir.
Les auteurs en sont d’une manière conscients. Vers la fin, dans la section sur la pratique moderne de l’épée, il est écrit parmi d’autres points à considérer lors de la pratique (là encore traduit à la volée) : « Lisez tout ce que vous pouvez trouver, mais pensez-y avant d’accepter quoi que ce soit comme vrai. Il y a beaucoup d’absurdités orbitant autour des arts martiaux de nos jours ». BEST. ADVICE. EVER. Applicable au livre même où il est écrit. Et au blog que vous lisez en ce moment même.
Exemple : Le Zornhau est décrit sans bouger les pieds, ce qui a pour effet de croiser la ligne des hanches avec celles des épaules puisque le pied gauche reste devant mais que l’épée passe plutôt du côté gauche. Le manuscrit de Ringeck ne donne en effet pas de détails sur le jeu de pied à ce moment. Cependant, le même manuscrit, page 18 du livre, est très clair sur le fait que, sur un coup descendant depuis la droite vers la gauche, la jambe droite doit suivre sinon le coup sera « faux et inefficace ». Les illustrations de Kal et Talhoffer sont très claires sur le fait que le pied droit doit être devant. Ma théorie à ce sujet, est que d’autre manuscrits comme le bien connu Cod.44.A.8 feuillet 19 décrivent la même technique en précisant « an alle versatzung ». C’est de nos jours habituellement traduit par « sans parer ». Mais « versetzen » peut vouloir dire « déplacer/déplacement ». Alors, sans déplacer quoi ? La lame adverse, ou le corps ? Compte tenu des techniques de « vier versetzen » qui cassent, ie. déplacent, les gardes adverses, on peut maintenant supposer que cela fait plus de sens que le terme s’applique à ne pas déplacer la lame adverse, ie. ne pas parer, et non à se pas se déplacer. En 2003, on en était peut-être pas à ce niveau de détail.
Autre exemple à la page d’après, l’illustration montre clairement la rétraction (suite à un Zornhau qui se fait casser) avec les mains remontant au dessus de la tête. C’est un peu demander à se prendre une pointe dans la face. Mais là encore, 2003. L’équipement étant très différent et bien moins sécuritaire, j’imagine très bien cette technique pratiquée avec d’amples mouvements, un ample cassage de Zornhau suivi d’un ample Zucken. Je n’ai pas l’impression que cette interprétation de l’escrime médiévale est la plus répandue aujourd’hui, remplaçant l’amplitude par des mouvements compacts, secs, rapides et structurés. Sans aller dans certaines dérives liées à la compétition, il est tout à fait possible de garder des coups puissants avec une bonne structure corporelle, même si ceux-ci n’ont pas une amplitude gigantesque. En l’occurrence, pour moi, la rétraction doit être effectuée principalement en utilisant le levier du pommeau, puis en réengageant tout le corps pour frapper de l’autre côté de la lame adverse. C’est bien plus efficace que de bouger l’ensemble des bras, en particulier au dessus de la tête.
Et j’ai concrètement annoté tout le livre à la marge avec des remarques du genre. Ce fut un excellent exercice de lecture critique, et j’admets avoir requestionné certaines de mes idées au passage. Mais dans l’ensemble, on sent vraiment que les détails manquent de finesse comparé aux interprétations d’aujourd’hui. Le gros des techniques y est. La mécanique fine pas trop. Un débutant apprendra (ou pensera apprendre) quelque chose. Un vieux routard râlera, rigolera un bon coup, et se posera quelques questions au passage.

Conclusion

Édition 3/5
En tant qu’objet, le livre n’a rien d’exceptionnel. La mise en page et la présentation du contenu sont clairs cependant, et touchent la cible de rendre le contenu du manuscrit très accessible à un débutant, en particulier via les interprétations illustrées. Même si celles-ci sont un peu grossières par endroit, il faut bien dire que ça représente une porte d’entrée facile pour des gens qui veulent essayer d’apprendre par eux mêmes.

Traduction 2/5
Modifiée, non traçable, sans notes, et vieille de 15 ans. On a mieux à disposition.

Intérêt du manuscrit 3/5
Le manuscrit original mériterai un 4 ou un 5, j’enlève un point parce qu’il est rendu ici partiellement (épée longue de base seulement, sans ses suppléments). Cependant, Ringeck étant un poids lourd de l’escrime Liechtenauerienne, il est difficile de nier l’intérêt du matériau de base. C’est une des meilleures gloses.

Contenu additionnel 3/5
Les documents et essais accolés au manuscrit sont assez superficiels. Un bon point cependant va pour les passages d’introduction de chaque section, clairs, concis et délimitant bien les concepts importants. Il est juste dommage que ces explications soient ensuite parfois contredites par les interprétations des pages suivantes.

Verdict : Meh…
Si vous vivez en 2003, courez l’acheter. Internet marche mal et vous n’aurez de toutes façons pas grand chose d’autre à vous mettre sous la dent pour débuter. Si vous êtes bien de 2019 et après, c’est, je pense, un livre qui peut encore présenter un intérêt deux types de personnes :
– De nouveaux venus, sans école d’AMHE dans les environs qui veulent essayer d’apprendre à manier une épée par eux-mêmes. Honnêtement, on a vu pire comme matériel de base.
– Les instructeurs et pratiquants avancés qui veulent faire une lecture critique, que ce soit pour trouver des idées pédagogiques ou confronter leurs interprétations.
Maintenant, est ce que j’irai mettre 150$ là dedans ? Surement pas. Demandez à un ami de vous le prêter.

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