C’est Noël / les saturnales / Hanoucca / le solstice d’hiver / la fin d’un mois de décembre (rayer les mentions inutiles suivant vos croyances et milieu culturel), et pour cette occasion, comme tous les ans, on s’apprête à jeter par-dessus bord tous les durs efforts réalisés au cours de l’année pour se bâtir une machine de guerre en guise de corps en se goinfrant comme dans gros cochons.
Je profite donc de cette occasion pour sortir un autre type de bouquin, un livre de recette ! Médiévales, cela va de soi, on reste dans le thème récurrent du blog. J’ai trouvé ça en visitant le Mont St-Michel, en Normandie comme tout le monde le sait, dans la boutique du musée, en 2017. J’aime bien les boutiques de musée, il y a toujours de bons bouquins qu’on ne trouve pas ailleurs cachés entre les livres de Stéphane Bern et de Franck Ferrand. Bref, cette fois-ci, j’ai décidé d’acheter un ouvrage utile avec l’objectif secret de convertir sournoisement ma gastronome de conjointe au médiévisme. 3 ans plus tard, la conversion n’a pas marché, mais au moins, on a bien bouffé.

Titre | L’Authentique Cuisine du Moyen-Âge |
ISBN | 978-2-7373-6998-8 |
Auteur | Françoise de Montmollin photographies de François Folcher |
Année | 2016 |
Type | Livre de recette |
Langage | Français |
Pages | 211 |
Éditeur | Éditions Ouest-France, le journal du bar du village ! (et imprimé à Luçon en Vendée !) |
Document d’origine | Tout un tas, on y reviendra |
Année | principalement XIIIe, XIVe et XVe siècles |
Un mot sur l’édition
C’est un beau bouquin, plutôt massif d’environ 25 x 18,5 cm, donc pas trop encombrant en cuisine et avec assez de place pour y écrire des choses lisibles. Il est équipé d’un ruban marque-page en tissu des plus pratiques. La couverture cartonnée est épaisse et semble résistante à toute éclaboussure saucesque qui pourrait lui arriver. L’intérieur est en papier glacé de bonne qualité avec de grandes photographies couleurs qui sont quand même vachement plus classe que le profil Instagram moyen. Bref, du lourd et du solide, on aime ça.
Niveau contenu, le livre comprend un préface d’un peu moins de vingt pages expliquant la démarche, les sources, le contexte culturel… Cette partie est honnêtement assez peu fouillée, j’aurais apprécié que ce soit un peu plus étoffé avec des copies de page d’origine ou une transcription de recette telle quelle afin de bien se rendre compte du travail de l’autrice en aval. C’est cependant très accessible et absolument pas rébarbatif. Mais cet ouvrage est clairement destiné à répandre la bonne parole dans l’ensemble de la population, donc je pense que c’est plutôt une bonne chose, car cela permet d’atteindre la cible. Un lexique et quelques avis généraux sur « comment retrouver les saveurs du Moyen Âge » viennent compléter le livre à la fin. « Buvez force vin blanc acide ». C’est important.

L’autrice et le contexte d’écriture
Ces recettes médiévales sont le fruit du travail de reconstitution de Françoise de Montmollin au château de Guédelon. Ancienne enseignante d’origine Belfortaine ayant étudié l’architecture aux beaux-arts, elle se retrouve embarquée progressivement dans la spirale reconstitutioniste au début des années 2000 en se joignant comme bénévole vannière au chantier du château de Guédelon. Oui, vous avez bien lu, un chantier de château. Et pas besoin de machine à remonter dans le temps. Perdu quelque part entre Orléans, Bourges et Dijon, il s’agit d’un chantier commencé en 1997 visant à construire de toutes pièces d’un château fort du XIIIe siècle dans une ancienne carrière, avec les outils et techniques de l’époque. Bref, un projet un peu fou sans aucune autre utilité que d’amasser des connaissances qui permet de ne pas perdre espoir en un futur à la Star Trek. Le chantier comprend non seulement les artisans nécessaires à la construction à proprement parler (maçons, tailleurs de pierre, charpentiers…), mais aussi d’autres métiers annexes permettant de donner vie au chantier comme des potiers, vanniers et donc, une vannière devenue cuisinière au fil du temps.
L’ensemble des corps de métiers sur place permet à tous d’entreprendre une démarche d’archéologie expérimentale à grande échelle. Au niveau de la cuisine par exemple, une attention particulière est portée par l’autrice au fait d’utiliser des ustensiles et pots d’époque, fabriqués par les potiers et forgerons du chantier dans ce qu’elle appelle de « l’archéologie culinaire empirique ». Empirique est d’ailleurs un mot important ici, car, il y a 800 ans, on n’avait pas Ricardo pour nous écrire des recettes détaillées de tout et n’importe quoi qui marchent à tous les coups tout en nous éblouissant de dents trop blanches et trop nombreuses pour être honnête. Un gros travail d’essai-erreur et d’interprétation est donc nécessaire, ce qui n’est pas une problématique inconnue en escrime historique.
NDLR pour les lecteurs hors-Québec : remplacez cette tirade sur Ricardo par « on n’avait pas marmiton« . Sauf que Marmiton, ce n’est plus ce que c’était, les recettes marchent pas tout le temps, et même si ça fait mal à ma fierté mal placée de Français, j’admets que les recettes de Ricardo sont généralement bien mieux. Je vous conseille d’ailleurs son pain blanc, un vrai pain honteusement facile à faire.
Les sources
Le lecteur médian de ce blog ayant très probablement quelque chose à voir avec les AMHE, si on dit « reconstitution », la question des sources va jaillir telle la Volvic d’un verre posé sur le sol d’un volcan jeune de 60 000 ans.
Ce sujet n’est pas une mince affaire, car les ouvrages les plus anciens traitant des habitudes alimentaires datent du XIVe et XVe siècles et correspondent pour certains beaucoup plus à une transition vers la renaissance qu’à quelque chose réellement représentatif de la période du Moyen-Âge représentée sur le chantier. De plus, les recettes ne sont souvent pas détaillées, très approximatives ou parcellaires (oui, comme les manuels d’escrime !). Partant de là, tout est bon pour glaner les informations nécessaires à reconstruire notre pitance. Les types d’ouvrages suivant ont par exemple été utilisés :
- Les herbiers : listent les plantes connues et leurs usages, médicinaux ou gastronomiques
- Les enluminures : suivre une recette est toujours plus facile quand vous avez une idée de ce à quoi ça doit ressembler
- Les chansons : de la strophe « Après ce délicieux poulet au Verjus, allons ma belle que je te lutine » vous pouvez déduire qu’un plat nommé « poulet au verjus » a existé et vaut la peine d’être goûté. Il vous rappelle aussi l’existence de ce merveilleux verbe qu’est « lutiner ». On ne parle pas des lutins du Père Noël travaillant durement à fabriquer des cadeaux.
- Les registres d’achats et de vente : Vous n’avez pas la recette, mais au moins, vous avez la liste des courses.
- Les manuels d’économie domestique : entre conseils sociaux et lutinants, on peut toujours trouver quelques informations concernant la préparation des repas. Voir le Ménagier de Paris (wikipedia / Gallica)
- Les livres plus orientés vers la cuisine : entre autres Liber de Coquina (1304), Le Viandier de Taillevent (XIIIe/XIVe), Du fait de cuisine (1420)
Bien évidemment, le Moyen-Âge, c’est long, et c’est une découpe artificielle de l’historiographie. Donc sur la période de 1000 ans qui est considérée, de nombreuses choses ont évoluées. Les voyages et croisades vers le moyen-orient et l’orient ont rapporté de nouveaux ingrédients et techniques de cuisine. Aux périodes fastes où même les paysans avaient presque toujours un morceau de viande dans leur pot, ont succédé des périodes bien plus dures et sombres (anecdote trouvée dans le livre : c’est d’ailleurs de là que viendrait l’expression « n’avoir pas de pot », c’est-à-dire n’avoir rien à manger, pas de chance). La classe sociale compte aussi pour beaucoup, car, en dehors du prix rendant certains ingrédients accessibles seulement aux plus aisés (comme les épices), chaque aliment revêt une signification particulière. Prenez le lait par exemple. Vous n’en trouverez que peu à la table des grands seigneurs car c’est considéré comme un aliment d’enfant et de vieillards. Bref de faibles. Le lait, ce n’est pas viril. Et le beurre c’est un truc de pauvres.
L’autrice a donc essayé de se concentrer sur l’alimentation des paysans, commerçants et petits seigneurs du XIIIe siècle.
Les ingrédients
C’est bien joli tout ça, mais on cuisine quoi au juste ? Et bien, plein de choses, même si de nombreux ingrédients très communs aujourd’hui ne sont pas disponibles il y a 800 ans : les pommes de terre, les haricots et le mais par exemple proviennent du nouveau monde. En dehors des dattes, les fruits exotiques sont aussi hors-jeu.
D’autres ingrédients sont connus, mais ne sont pas utilisés. L’abricot par exemple ne s’utilise pas en raison de son noyau toxique (il contient du cyanure), faisant de lui un fruit diabolique. Contrairement à ce que j’aurais imaginé, on trouve assez peu de céréales aussi, la raison étant que faire pousser du blé demande beaucoup, beaucoup d’espace et donc est plus commun pour les personnes ayant les moyens de louer un champ ou les seigneurs possédant les champs. Les légumineuses par contre sont beaucoup plus communes, y compris en farine, quelques rangs dans un potager personnel permettant de subvenir à ses besoins.
Finalement, certains ingrédients communs à l’époque sont volontairement absents des recettes présentées dans ce livre. Ce peut être parce que les goûts du XXIe siècle ne sont pas forcément en phase avec l’habitude des gens de l’époque de TOUT utiliser (vous avez envie de faire du fromage blanc en laissant mariner du lait quelques heures dans un estomac de veau vous ?), ou simplement parce que les ingrédients ne nous sont pas accessible aujourd’hui (genre du dauphin).
Donc pour cuisiner, il vous faudra surtout : des légumineuses (des pois cassés, des doliques…), des raves (navets, panais…) n’importe quelle viande (les animaux volants étant plus prisés car plus près de Dieu), de la graisse de canard, beaucoup d’amandes (ils en mettent PARTOUT, c’est un très bon liant), du miel, des fruits, des herbes, des épices (selon votre budget, cette contrainte est historique, c’est toujours aussi dispendieux 800 ans plus tard), des champignons, des bulbes (oignons), des oeufs, du poisson… Bref, il y a du choix.
On cuisine quoi ?
Le livre recense plus de 80 recettes réparties en 12 sections permettant de concocter des repas entiers.
- pâtes à tarte et pain : je m’essaye au pain au levain en ce moment même, je vous raconterai
- pastés en croûte et tourtes : des tourtes à la viandes et des terrines
- viandes et volailles : dont le fameux poulet au Verjus ! Mais aussi galimafrée, ambroisine, limonia…
- poissons et coquillages : civé de moules, soupe de poisson…
- œufs : omelette verte, civé d’œuf…
- plats complets : brouet, potée…
- tartes, tourtes et galettes : arboulastre, pipefarce…
- rissoles : genre de raviolis. Si vous avez des orties chez vous, c’st une occasion d’en faire quelque chose.
- légumes et céréales : porée, cretonée, fromentée…
- sauces et accompagnements : Lait aigre, sauce dodine…
- desserts : darioles, oublies, compotes, pommes au four…
- breuvages : hypocras, vin clairet, hydromel, lait d’amandes (ouais, c’est pas un truc inventé par des hipsters végan)…
Les recettes sont souvent simples à cuisiner, mais sont, je pense volontairement, assez approximatives en ce qui concerne les quantité et surtout les temps et température de cuisson. L’autrice est sympa, elle partage ses expérimentations en nous laissant expérimenter. Ceci dit, avec un minimum de gros bon sens il n’y a pas de risque de vraiment se planter. Il faudra juste ajuster un peu au tour suivant !
Exemple : la porée blanche (ou comment manger des poireaux sans qu’il y ait de goût de poireaux) qui est de loin la recette que j’ai fait la plus souvent du livre. Vous prenez autant d’oignons que de poireaux que vous émincez en lamelles fines. Mettez ça dans une GROSSE casserole à cuire avec du gras de canard, rajoutez de la poudre d’amandes pour lier et du miel à la fin, et voilà ! C’est super bon. Mais concrètement, la recette ne donne pas grand information en plus, pas de temps de cuisson (selon mes propres estimations, minimum 3 heures), quantités approximatives pour tout le reste. Mais ce n’est pas grave, c’est inratable et j’ai même mis une fois un peu de fécule de mais à la place de la poudre d’amande que je n’avais plus dans mon garde-manger. Ce n’est pas histo, c’est un peu moins bon, mais ca sauve les meubles.
Conclusion
Édition 5/5
Un bon gros livre avec une couverture rigide et bien épaisse et du papier de bonne qualité paré à supporter des taches de gras. Comme dit ma chère et tendre, un livre de cuisine propre, c’est un livre qui ne sert à rien.
Instructions 4/5
Il faut un peu improviser parfois, mais ce n’est pas la fin du monde.
Intérêt des recettes 3/5
C’est très bien dans l’ensemble et sélectionné pour le consommateur/cuisinier du XXIe siècle. J’aurais apprécié quelques sélections ponctuelles de recettes ne correspondant pas du tout aux goûts modernes (genre un truc gore avec des abats), parce que finalement, oui c’est original, mais pas forcément très dépaysant.
Contenu additionnel 4/5
Une bonne préface introduisant la démarche, un lexique, de très bonnes photos, des conseills généraux, un petit texte présentant chaque recette et son contexte, que du bon, et très accessible au non initié.
Verdict : goulument recommandé !
Un livre parfait pour sortir des recettes habituelles en utilisant une autre dimension de l’espace-temps. Parce que oui, il n’y a pas que la bouffe indienne ou japonaise pour changer du rôti de bœuf au gros sel à mamie. Bien écrit, très accessible, superbement présenté, c’est mon livre de recettes préféré.
19,90 € bien dépAnsés.